Pourquoi étudier Harry Potter ? La genèse d’un enseignement

C’est au détour d’un café parisien, non loin de la grande école Sciences Po, que François Comba, historien de formation et professeur dans le très célèbre IEP, me narre le récit de son aventure avec Harry Potter. Au travers de ces mots que je vous livre aujourd’hui, vous pourrez constater la richesse de l’œuvre de J.K. Rowling

La découverte de l’œuvre

Durant la période de Noël 2001, François Comba rencontra Harry Potter. Un ami lui donna les quatre premiers livres en lui disant « C’est de la littérature pour enfants mais c’est intéressant ». Cette phrase en elle-même est un paradoxe pour ce professeur de lettres : littérature jeunesse et fantasy ne peuvent pas être intéressants. Mais il prit tou de même la peine d’ouvrir le livre. Il a manqué de s’arrêter à la première phrase de préface « Merci pour eux ». En effet, à ce moment-là, François Comba s’est dit « Mais qu’est-ce donc que cette prose vulgaire ? ». Il avança tout de même et lut les premières lignes du roman.

Arrivé à la description des Dursley avec le « très long cou avec lequel elle aime espionner les voisins » de Pétunia, et la description de Vernon comme « un homme grand et massif qui n’a pratiquement pas de cou » il se dit que le livre devait avoir un certain intérêt. Cette phrase faisait écho en lui à la célèbre pièce La Chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams (adapté au cinéma en 1958 par Richard Brooks) où Élisabeth Taylor (Maggie), parle de sa famille comme de « sans-cous ». Ce fut à la fin de ce chapitre, quand il arriva au passage où le chat lit une carte routière qu’il a définitivement trouvé le livre intéressant.

C’est vers la fin du troisième tome qu’il arrêta sa lecture et se dit « Mais qu’est-ce qu’elle a fait ? ». Le livre est bien écrit, bien raconté, les personnages sont bien traités, il y a une multitude de trouvailles, mais au-delà de ça, qu’est-ce qui rend ce livre si beau ? Ce fut là que l’intuition lui vint : la liponymie (ndlr : Un texte dans lequel l’auteur s’impose une contrainte pour parler d’un sujet (ne pas employer la lettre e, ne pas employer de verbes par exemple)). Au fil de l’œuvre, J.K. Rowling parle de sexe sans jamais faire référence à un seul mot s’y rapportant. Pour François Comba, c’est « l’exact positionnement pour parler sexualité ». À ce moment-là, le seul indice qu’il avait pour aller en ce sens était le passage de la rencontre d’Harry avec sa baguette. Il s’était alors dit qu’elle ne s’était pas rendu compte de ce qu’elle avait fait. Il chassa ces réflexions, les gardant tout de même à l’esprit, et finit le troisième tome comme ébloui.

Le quatrième tome fut raté, et ce jusqu’à la scène du cimetière. Cependant, c’est dans ce livre, au dix-huitième chapitre (L’Examen des Baguettes), que François Comba sut que J.K. Rowling s’était rendu compte de sa liponymie. Le seul intérêt de ce chapitre – et la seule interprétation possible – était qu’elle semblait dire qu’« elle a compris ce qu’elle a fait, et elle assume. » (ndlr : Référence à l’article « Harry Potter : le mot caché » sur le site profondeurdechamps.com).

La manière dont J.K. Rowling a positionné son écriture n’a eu de cesse d’évoluer avec les différents tomes du roman. Elle ne se tient au livre pour enfants que dans les deux premiers tomes. Ensuite, elle évolue vers quelque chose de plus complexe et de moins enfantin. L’évolution de son écriture fait écho à l’évolution d’une romancière japonaise : Murasaki-Shikibu. Elle a commencé par écrire un conte, un feuilleton, et au fur et à mesure de l’avancée de son œuvre, elle est prise par le monde qu’elle créée et elle atteint une écriture « romanesque », qu’elle invente au Japon (ndlr : pour plus de détails, voir l’article Murasaki-shikibu : Japonaise de l’an mil du 25 octobre 2012 sur profondeur des champs). Murasaki devînt romancière en écrivant, de la même manière que J.K. Rowling « devînt un grand écrivain » en rédigeant son roman.

Fin du quatrième tome, François Comba était désormais dans l’attente des futurs livres. Ce fut là que commencèrent ses analyses. Il débattait à propos de l’œuvre avec l’ami grâce auquel il avait découvert les livres. Ils utilisaient les outillages habituels d’analyse, les mêmes qu’avec les œuvres de Jane Austen, Marcel Proust, Charles Dickens, etc. Ce fut durant cette période d’attente qu’il débuta un semblant d’enseignement de l’œuvre avec ses collégiens. Il décortiquait – non sans plaisir – avec ses élèves les différents livres composant le roman. Avec un léger sourire et une once de nostalgie, l’enseignant me confia se souvenir d’un élève, un élève qui avait décelé l’homosexualité d’Albus Dumbledore, et ce, deux ans avant la publication du septième tome.

De la genèse d’une idée à sa réalisation

2007, François Comba rejoignit la toute petite équipe pédagogique pour les sportifs de haut niveau. Il était en charge de l’enseignement « langue et littérature ». La problématique, pour ces étudiants, est qu’ils voyagent énormément, l’objectif de cette formation est de les maintenir ou les emmener au niveau universitaire. Harry Potter était donc la base de son enseignement : il partait de l’œuvre pour les faire « remonter vers des objets plus complexes, enfin, moins rébarbatifs, trouver plus complexe que Harry Potter est difficile, c’est une œuvre très complexe ». Il était également en charge d’un enseignement de lecture se composant de quatorze séances de deux heures. Le but était d’arriver avec un texte et de travailler dessus pendant le cours. Ils étudiaient Malarmé, Brecht, Saint Simon, Rimbaud, Breton, ainsi que d’autres auteurs de grande renommée. Puis à partir de 2008, la dernière séance était consacrée à un texte du roman Harry Potter.

C’est pendant ses années de réflexion et d’enseignement que l’idée du cours sur les romans de J.K. Rowling prit forme dans l’esprit de François Comba. Il travailla donc activement sur les textes et ne prit pas moins de cent cinquante pages de notes sur l’œuvre – soit 200 000 caractères.

En 2012 naquit profondeur des champs : site développé par un groupe d’amis étudiants à Sciences Po. Leur but est simple : créer un espace rédactionnel sur la culture, plus particulièrement sur leurs expériences culturelles. Un étudiant demanda alors à François Comba d’envoyer des articles sur Harry Potter. C’est ainsi que fut créé, à partir des notes prises par l’enseignant au cours des années écoulées, le premier article qui sera par la suite repris dans son cours : Dumbledore is gay. L’article paru le 30 mars 2012 et François Comba suggéra au rédacteur en chef de faire apparaître l’article sur le profil de Richard Descoings, l’article fut envoyé et le directeur le publia. Si l’article avait été publié, c’est bien que le directeur l’avait lu et qu’il avait donc dû constater de sa qualité. François Comba décida alors de lui soumettre l’idée mais avant qu’il ait pu envoyer sa lettre, il apprit la mort de Richard Descoings.

Fin Mai 2013, il reçut un appel de sa directrice pour l’enseignement sur le Prix Nobel de Littérature. Elle lui demanda de changer de thème pour son cours, de prendre une idée neuve pour remplacer l’enseignement sur le Prix Nobel. Il lui exposa alors trois idées en sachant que « ça n’allait pas lui plaire » :
Marcel Proust
– Pratiques et idées psychanalytiques en Europe
Harry Potter
Elle refusa les deux premières propositions et déclara « Faîtes donc Harry Potter ». Elle dit ensuite « Je vous connais, je sais que ce sera intelligent, mais je veux un plan de cours solide ». En effet, François Comba avait tendance à faire des plans de cours assez léger car « ils sont amenés à évoluer ». Quelques semaines plus tard, en juin, le plan de cours fut soumis et accepté par la direction.

C’est alors que François Comba me dit, un léger sourire aux lèvres et les yeux malicieux :

« Et voilà comment je suis devenu professeur de Défense Contre les Forces du Mal. »

« La meilleure défense contre les forces du mal, c’est la culture. »

Portolien

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