Mary GrandPré revient sur son parcours « Harry Potter »

J.K. Rowling a fait naître Harry Potter, mais Mary GrandPré lui a insufflé la vie pour des millions de lecteurs. Les dessins évocateurs de l’illustratrice de la saga Harry Potter ont suivi les voyages souvent périlleux de Harry à travers l’adolescence, et façonné l’image du monde dans lequel vit le héros. GrandPré raconte au TIME ce qui l’a amenée à dessiner Potter et comment elle a recréé son image pour l’édition spéciale du dixième anniversaire de Harry Potter à l’École des Sorciers.

TIME : Comment vous êtes-vous vue confier la saga Potter à l’origine ?

Mary GrandPré : À l’époque, c’était juste un travail comme un autre. J’ai reçu un coup de fil de Scholastic, ils voulaient savoir si j’avais du temps pour illustrer la couverture d’un livre sur ce garçon qui avait des pouvoirs magiques. J’étais alors très occupée par un autre projet, et j’ai dit que je n’avais pas le temps. Mon contact, David Saylor, voulait vraiment que ça soit moi qui le fasse, et il m’a demandé si je pourrais reconsidérer sa proposition après avoir pris connaissance du livre. Il me l’a envoyé, je l’ai lu, et je l’ai beaucoup aimé, alors je me suis arrangée pour dégager de la place dans mon emploi du temps. Le reste, c’est de l’histoire ancienne. Je suis heureuse de l’avoir fait.

TIME : Qu’est-ce que ça fait de remonter le temps et re-dessiner Harry à 11 ans [pour l’édition anniversaire], maintenant que l’histoire est finie ?

Mary GrandPré : C’était une belle opportunité. Tandis que Harry grandissait, j’ai toujours souhaité pouvoir revenir en arrière et refaire une nouvelle couverture pour chaque livre. Alors quand ils ont eu l’idée de la couverture anniversaire, ça m’a beaucoup excitée. C’est comme faire un portrait tout neuf d’une vieille connaissance.

TIME : Qu’avez-vous essayé de faire différemment, après tout ce que vous avez appris sur lui au cours de la saga ?

Mary GrandPré : La première couverture était recherchée, elle avait une sorte de touche tendance. En apprenant à connaître le personnage, j’ai davantage cherché à croquer une personne réelle. Pour la cinquième couverture, j’étais plus intéressée par un portrait personnel et émotionnel de Harry que par une création graphiquement élaborée et une composition correcte. J’ai tenté d’apporter de la singularité et de l’émotion pour cette édition anniversaire.

TIME : Pensez-vous pouvoir dessiner un Harry âgé de 30 ou 60 ans ?

Mary GrandPré : Bien sûr. Cela prend du temps de dessiner et re-dessiner, d’étudier sa structure faciale. Plus je dessine Harry et mieux je me le représente dans ma tête. J’essaye d’utiliser chaque dessin comme une carte pour le prochain. J’ai besoin de commencer à le dessiner pour savoir à quoi il va finalement ressembler. En plus, J.K. Rowling est un écrivain tellement visuel… J’ai toujours cherché l’essentiel de mon inspiration dans ses livres. C’est ma première responsabilité en tant qu’illustratrice de couvertures de dessiner à partir du texte. Et elle rend cela vraiment facile grâce à ses descriptions très poussées.

TIME : Avez-vous consulté Rowling quand vous prépariez les dessins de personnages ?

Mary GrandPré : Pas directement. J’étais en relation avec le directeur artistique David Saylor et l’éditeur Arthur Levine. Eux la consultaient directement, et ils me montraient ses croquis. Elle était toujours très sympathique, c’est ce qui me semblait être le cas d’après les images que j’ai reçues. Je pense qu’on avait la même chose en tête. On a vraiment formé une bonne paire.

TIME : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le processus d’élaboration des illustrations de chaque livre ?

Mary GrandPré : J’avais une méthode de travail assez singulière : dès que je lisais, je surlignais des éléments du texte — descriptions des personnages, des scènes sympas — avec différentes couleurs. Je pouvais ensuite me servir de ce code couleur pour trouver ce que je cherchais. Je commençais alors à dessiner quelques esquisses très grossièrement avec un crayon sur du papier calque. Je réalisais ensuite tout une série de calques que je superposais les uns sur les autres jusqu’à ce que je sois satisfaite de l’apparence du personnage. Tout tourne autour de l’esquisse en faisant attention aux mots et aux descriptions des livres. Les fans de Harry Potter sont très exigeants. Ils font attention à chaque détail et si vous faites une quelconque erreur, vous le saurez le jour qui suit.

TIME : Avez-vous déjà été contactée par des fans enragés qui trouvaient que vous aviez tout gâché, ou que vos dessins ne correspondaient pas à l’image qu’ils avaient en tête ?

Mary GrandPré : Pas tellement. Il y a eu quelques débats en ligne lors desquels s’exprimaient des gens qui n’étaient parfois pas satisfaits de mon travail parce qu’il n’était pas en accord avec l’idée qu’ils s’étaient faite de tel ou tel élément. J’ai lu quelques-unes de ces discussions et j’ai arrêté. Vous faites de votre mieux. Vous êtes vraiment sous pression parce que [la saga] est sous le feu des projecteurs. Mais en même temps, le fan passionné est aussi le plus reconnaissant. Je reçois beaucoup de lettres de fans positives. La plupart des personnes avec lesquelles je parle apprécie vraiment ce que je fais.

TIME : Combien de temps ça prend d’illustrer chaque livre ?

Mary GrandPré : Vous le faites généralement dans la précipitation; il semblerait que l’artiste soit généralement le dernier auquel on communique sa tâche. Je ne suis pas une lectrice rapide, donc je me dnne généralement deux semaines pour lire et digérer et prendre des notes du manuscrit. Puis, je m’accorde encore une autre semaine pour réaliser les esquisses de la couverture et enfin une autre semaine pour toutes les têtes de chapitres. Donc, je pense que cela demande à peu près deux mois pour lire le livre et l’illustrer.

TIME : Êtes-vous soumise à des limitations légales concernant le lieu et la manière dont vous dessinez les personnages ? Si quelqu’un vous offrait une énorme somme d’argent pour réaliser une fresque murale de Harry Potter chez lui/elle, pourriez-vous le faire ?

Mary GrandPré : Je ne sais pas si j’aurais la permission de le faire, mais je choisirais de refuser la proposition. Je ne veux pas faire de l’argent en utilisant le personnage. Le concept des droits de propriété est assez complexe. Et j’ai tellement d’autres idées en tête pour exprimer ma passion créative que je ne le ferais pas de toute façon.

TIME : Y a-t-il d’autres personnages que vous aimeriez dessiner ?

Mary GrandPré : Si je devais choisir un personnage classique, Alice au Pays des Merveilles serait très amusant, peut-être pour lui donner une touche plus moderne. Je sais que ça a été fait, mais ça serait sympa de le refaire à ma façon.

TIME : Vos illustrations ont-elles jamais été en désaccord avec les descriptions des livres ?

Mary GrandPré : Non. Je pense que je ne me sentirais pas bien si tel était le cas. Je sais qu’il existe quelques divergences entre les livres et les films. Mais en tant qu’illustratrice, j’ai cette obligation et cette responsabilité — et privilège — de rester fidèle au récit.

TIME : Les films ont-ils affecté votre image mentale des personnages ?

Mary GrandPré : Je me suis tenue éloignée des films. Maintenant que la série est finie, je les regarde. Je peux enfin en profiter, parce que je n’ai plus peur que ça sème la confusion dans mon esprit.

TIME : Vos couvertures semblent souvent contenir des indices de ce qui va se produire, sans dévoiler l’intrigue. Est-ce une ligne difficile à tenir ?

Mary GrandPré : Un peu, mais c’est également la partir amusante de mon travail. Vous cherchez à attiser l’intérêt des lecteurs avec quelque chose qui a retenu votre attention. C’est amusant à faire avec une couverture, et cela donne des indices et amène les lecteurs à se poser des questions. L’atmosphère d’un livre est généralement présentée par la suggestion : un son, une couleur claire, une ombre. J’ai essayé de reproduire cela avec les illustrations aussi, en leur donnant cet aspect mystérieux quand je le pouvais.

TIME : Qu’est-ce que cela a été de faire partie de ce nombre très restreint de personnes qui savaient ce qui allait se passer à l’avance sur le reste du monde ?

Mary GrandPré : C’était assez cool. Je me suis sentie très privilégiée. Et je devais faire très attention à ce que personne ne sache que j’avais le manuscrit en ma possession. Je l’ai gardé dans un endroit sûr. J’ai dû faire jurer mon mari de garder le secret. C’est très, très, très sérieux. À partir du quatrième ou cinquième tome peut-être, à chaque fois qu’il y avait un nouveau manuscrit, un des employés de Scholastic prenait l’avion pour me l’apporter et je le rencontrais dans un endroit secret pour le récupérer. J’ai toujours eu l’impression de prendre part à une rencontre clandestine.

TIME : Combien de personnes savaient en avance ce qu’il se passait dans les livres ?

Mary GrandPré : Je ne sais pas. Je pense probablement qu’il y en avait huit, neuf ou dix.

TIME : Est-ce que des personnes ont essayé de vous soutirer des informations ?

Mary GrandPré : Oui, parfois. Pas tellement. Mes amis et ma famille m’ont vraiment laissée tranquille. Ils n’en parlent pas vraiment avec moi. Ils comprennent que cela fait partie de mon travail et que je suis soumise à un accord de confidentialité.

TIME : Qu’avez-vous pensé de la fin de la série ? Cela est-il allé à l’encontre de vos attentes ?

Mary GrandPré : Je pense que le septième roman était un bon livre. C’était une bonne manière de résumer le tout. Je dois dire que c’est mon préféré de la saga. Et c’est celui que j’ai préféré illustrer.

Portolien

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